Prendre le paquet entre ses mains. Sourire. Défaire l’emballage. S’exclamer, puisqu’il faut être ravie. Et, aussitôt, pendant un dixième de seconde, réfléchir à la manière dont on va pouvoir rendre la pareille. Mais pourquoi diable pense-t-on à ça au lieu d’être heureuse ? Un présent s’inscrit dans une relation d’échange, relation qui prévaut dans le monde des adultes. Et ce don crée une dette qui doit impérativement être remboursée, ne pas arriver à le faire met en état d’infériorité. Tout cela, bien sûr, est symbolique. Un simple “merci”, mais venu du fond du cœur, peut délivrer de cette supposée dette. En revanche, un cadeau sans contrepartie renvoie à l’univers enfantin où les petits n’ont pas de dettes vis-à-vis de leurs parents », explique la psychanalyste Gabrielle Rubin1. Gamine, on posait nos souliers au pied du sapin sans se demander s’il fallait y glisser un petit souvenir pour le Père Noël. Et plus il y avait de cadeaux, mieux c’était… D’autant que l’on n’avait pas à rendre la politesse. Penser qu’on le mérite L’affaire se complique avec les années. Une fois adulte, non seulement on doit dire merci, et prévoir, au moins symboliquement, un “retour”, mais il faut afficher son contentement. Or, même s’il a été sélectionné avec soin et justesse, un présent peut déranger. Non seulement parce qu’il crée un lien avec le donateur, mais aussi car il renvoie à soi. Est-ce qu’on le vaut bien ? Parmi mes patients, certains souffrant d’un manque d’estime de soi se disent très gênés de recevoir un cadeau, constate la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum2. Ils estiment ne pas le mériter. D’autres, qui se sentent mal aimés, sont persuadés qu’ils reçoivent un cadeau uniquement à cause de la tradition. » Oublier le faux pas Sous le sapin, cette année encore, vous avez du avoir à faire à de drôles de surprises un bijou que l’on ne porterait pour rien au monde, un châle vert, la couleur que l’on déteste, un parfum bon marché… Ce cadeau doit-il aller à la poubelle ? Là encore, rien n’est simple. Tout cadeau dégage une force symbolique, il est donc difficile de s’en défausser illico, même si on le hait. Il existe une dimension non matérielle qu’il faut prendre en compte. Chez les Maoris de Polynésie, on croit qu’une part de l’âme du donateur passe dans son présent, chargeant celui-ci d’un pouvoir spirituel qui poursuit le détenteur jusqu’à extinction de la dette par une offrande équivalente », explique Gabrielle Rubin. Une des solutions – souvent adoptée sans même y réfléchir – consiste à oublier la chose dans un placard. Et cela, le temps qu’il se décharge de l’aura de son donateur. Ensuite, souvent, on le donne », constate Sylvie Tenenbaum. Une chose est sûre Une fois le cadeau offert, il est trop tard. Si quelqu’un se trompe à chaque fois, il faut avoir le courage de lui en parler et de préciser vos désirs. Ceux qui choisissent à côté de la plaque ont souvent peu d’empathie pour l’autre. Ils achètent ce qui leur ferait plaisir sans penser au destinataire », analyse Gabrielle Rubin. Celles qui ont l’amitié un peu vache pourraient rendre la pareille avec un objet tout aussi calamiteux. Décrypter les messages Lorsqu’un proche nous offre, chaque année, des robots ménagers pétaradants alors que l’on chérit la cuisson minimaliste à la vapeur, nous sommes en droit de nous interroger. Est-ce une façon détournée de dire Marre de tes plats santé, on veut des frites ! » ? Mieux vaut le demander directement au donateur… quitte à découvrir qu’il fait son shopping dans un hard discount, ce qui tendrait à prouver que nous faire plaisir n’est pas, chez lui, une absolue priorité. Quant à savoir comment réagir, inutile de tergiverser faire bonne figure, c’est la meilleure solution pour le moral. Et relativiser. On attend beaucoup des cadeaux. S’ils sont trop mesquins, on peut en déduire que l’on est mal aimée », estime Sylvie Tenenbaum. Mais, plutôt que de souffrir, pourquoi ne pas en rire ? Elle se souvient encore d’une jeune fille, très choquée de ce que, pour son anniversaire, sa tante lui avait offert, devant la famille réunie, un de ces jouets en plastique que l’on trouve dans les paquets de lessive. La situation serait beaucoup mieux passée si elle en avait apprécié le ridicule… Autre problème, le méga cadeau ! Trop cher, trop beau… on n’aurait jamais eu les moyens de le faire soi-même. Offert par des personnes généreuses, dont le style de vie l’est tout autant, ça passe. Il suffira de trouver le moyen de faire sentir au donateur qu’il y a échange en terme d’amitié ou d’amour. Des mots peuvent suffire. Mais, parfois, un cadeau disproportionné peut servir à faire étalage d’une supposée supériorité qui met l’autre dans l’impossibilité de rendre la politesse », constate Gabrielle Rubin. Obligé d’être l’obligé… Une fois encore, la seule parade parler. 1. Auteure de Pourquoi on en veut aux gens qui nous font du bien Payot. 2. Auteure de Ce que disent nos cadeaux Éditions. Pour poursuivre notre dossier Savoir recevoir » Savoir recevoir Comment accepter les compliments ? Par Stéphanie Torre.